Réponse à la laïcité positive

Plus d’un siècle après le vote de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, le pays a changé. Les repères historiques ont disparu de la mémoire collective ; les principes fondateurs, qui n’apparaissent plus référents, ont perdu de leur clarté… La réalité quotidienne offre aujourd’hui l’image d’une société qui ne sait plus tout à fait pourquoi elle est laïque et ce que cette laïcité signifie en principes et en pratiques. D’où le risque de la voir instrumentalisée… La réalité internationale semble aussi nous indiquer que la laïcité est inaudible en dehors de France, comme une exception ou un mythe. Ce qui pourrait la rendre illusoire, la rend en fait indispensable…

 

La laïcité n’est pas un sujet d’annonce. Elle n’entre pas dans l’espace de réforme. La Laïcité est bien trop importante pour être instrumentalisée ! En réalité, la question de la laïcité doit être abordée sur trois plans indissociables de même importance:

           Celui des principes, pour réinscrire la laïcité comme référent intangible

          Celui de la politique, pour réaffirmer la réalité collective de la laïcité

          Celui du terrain, pour la faire vivre au quotidien des individus 

La laïcité, un référent intangible 

La laïcité n’est pas une valeur à géométrie variable, qui épouserait le cours du temps, et évoluerait à loisir. Elle est un principe intangible qui fixe la République et organise la vie collective en-dehors de la sphère religieuse. Elle n’a pas à s’adapter en fonction de l’évolution des rapports de force, de l’émergence de telle ou telle religion,  d’une pratique ou d’un rite spécifique, pour composer une laïcité modulable, « à la carte »… Ce caractère universel, fondamental, s’impose à toutes les religions car il est seul à composer, par-delà la spiritualité et dans la liberté des cultes, le terreau de notre collectivité. Ce n’est pas à la laïcité de s’adapter dans ses principes au monde spirituel : c’est aux religions de s’adapter au monde réel, dès lors qu’il y aurait contradiction ou opposition. Ce qui était vrai hier l’est toujours aujourd’hui, et tous doivent le savoir.  Bien entendu, le principe de réalité nous oblige, sinon à revenir sur le principe, à prendre la mesure des chemins à parcourir par chaque religion. Toutes ne sont pas dans la même situation. Le vécu de la séparation des Eglises n’est pas le même chez les Catholiques, les Protestants, les Juifs ou les Musulmans ou d’autres. L’expérience de la laïcité n’est pas identique pour tous non plus… Ce constat nous oblige à prendre conscience qu’en l’état de notre société – laquelle a trop longtemps négligé ses principes par intérêt ou négligence – la réaffirmation de la laïcité peut heurter certains fidèles et certaines religions. Cette situation, qui justifie à elle seule la réaffirmation du principe intangible, rend aussi indispensable un relais politique pour l’accompagner… 

Le politique, la réaffirmation collective de la laïcité 

La laïcité n’est pas ce monstre froid qui a mangé les curés… et qui aujourd’hui mange l’imam. Elle donne à chacun la liberté de croire ou de ne pas croire. Mais cette liberté n’existe que parce qu’aucune religion n’a de légitimité à interférer dans le débat public. Et que chacune doit accepter les règles que la laïcité impose. Cet équilibre, original et magnifique, fragile aussi dans un monde ouvert aux souffles des prophètes, mérite qu’on le défende. Le politique doit s’y employer beaucoup plus qu’il ne l’a fait jusqu’à présent. Il doit être là pour rappeler le principe intangible. Il doit être là pour ne pas céder aux pressions, à la facilité démagogique face à des communautés inquiètes de ne plus pouvoir vivre leur foi tout à fait comme elles le voudraient, ou à la résistance (opportuniste ou sincère) de ceux qui crieraient au retour des « anticléricaux » ! Le politique doit être là pour symboliser le caractère collectif du principe, par-delà ses attaches partisanes, spirituelles, ses origines sociales ou géographiques.  Le politique doit aussi être là, et c’est indispensable, pour expliquer la laïcité. Il doit faire œuvre de pédagogie historique pour expliquer la laïcité à ceux qui ne la comprennent pas ou mal, et ne pas attendre que les religions expliquent ce que doit être la laïcité pour être acceptable… Il faut au politique de l’écoute, certes, pour prendre la mesure des incompréhensions, des résistances. Mais surtout de l’intelligence et de la conviction, pour faire comprendre à l’opinion toute la tolérance d’un principe qui nous relie les uns aux autres, et dont la condition d’être justifie aussi des contraintes qu’il impose aux religions du réel. Relais entre le principe et le terrain, le politique est un acteur majeur de la laïcité. Mais lui-même doit pouvoir s’appuyer, dans le quotidien des vies, sur d’autres acteurs essentiels… 

La laïcité sur le terrain, la laïcité au quotidien 

Un principe réaffirmé et un politique investi ne suffisent pas à faire vivre la laïcité au quotidien. Il y a nécessité de s’appuyer sur le maillage associatif, sur le terrain, sur l’échange individuel, pour parvenir à placer le principe au cœur de la citoyenneté. C’est un plan décisif, car c’est là que se situe l’enjeu véritable. Nous devons rassurer les croyants, repousser les intégrismes, réconforter les laïcs, raffermir les conditions du « vivre ensemble » en expliquant les règles du « vivre ensemble ». Sans concession, mais en humanité. Et cela passe par des événements locaux, des publications de proximité, des rencontres, des témoignages, des visites.  C’est dans cette convergence entre le principe universel et intangible, le relais politique et l’action de terrain, que la laïcité peut se réaffirmer avec le plus d’efficacité. Comme il y a un peu plus d’un siècle, un effort de tous doit être fait pour que le quotidien soit vecteur du principe. Et que le principe s’incarne dans le quotidien.  Sachons aussi faire de ce sujet un atout, un facteur de cohésion, un repère d’existence collective. Nous le pouvons, car nous en avons l’expérience historique, par-delà les conflits, les querelles, les blessures. Et si des religions doivent apprendre à vivre dans la laïcité, d’autres ont déjà accompli ce chemin avant elles. Si des croyants s’inquiètent de ne pouvoir croire, d’autres croyants ont compris qu’ils pouvaient croire dans une société laïcité. Justement pour certains parce qu’elle est laïque. Tout cela, c’est un vécu que nous pouvons partager et transmettre. Pour autant, nous le constatons, des résistances existent, qui s’opposent à la laïcité dans les principes ou la pratique.

La nécessité d’une réponse ferme sur les principes et pédagogique dans la pratique 

Le débat sur la laïcité renvoie à la question des pratiques cultuelles de religions et de courants qui n’ont pas vécu la séparation des Eglises et de l’Etat et s’y opposent, par ignorance ou doctrine. Comment répondre à cette situation ? La réponse républicaine doit être à la fois pédagogique et intransigeante… Comment répondre à la résistance de religions ou de courants dont la doctrine semble se révéler, au moins en partie, inconciliable avec les principes de la laïcité ? La pire réponse serait de considérer qu’il y a une place, « dans » la laïcité, pour des pratiques dérogatoires et ainsi d’amender les principes. Ou bien de faire de la laïcité un vecteur de religiosité en considérant qu’il y a une place, « à côté » de la laïcité, pour une religiosité politique. Dans les deux cas, de transformer un principe intangible fort en un cadre empirique faible et relatif…  En réalité, la France n’a aucun complexe ni d’hésitations à avoir en ne dérogeant pas aux principes laïcs. D’abord, parce que la laïcité est un pilier de notre République, et que l’une ne s’affaiblira pas sans l’autre. Ensuite, parce que la laïcité est aujourd’hui un point d’ancrage, un point de force, dans un monde où la politique instrumentalise la religion jusqu’à l’horreur, et où la religion est parfois tentée de s’occuper directement des affaires du monde… 

Par ses principes, la laïcité n’est pas un vecteur de religiosité, ce sont les religions qui sont des vecteurs de laïcité… 

La laïcité dispose d’atouts considérables pour surmonter  les chocs cultuels, et faire comprendre à des religions qui n’ont pas connu l’expérience de la séparation son caractère fondamentalement positif, malgré ses règles intangibles et les contraintes qu’elle leur impose.  L’un de ces atouts primordiaux, que l’on aurait grand tort de mésestimer, c’est l’expérience historique de la laïcité par d’autres religions qui l’ont affrontée longtemps, ont finalement dû s’y soumettre, mais ont su exister sous ses règles sans avoir jamais perdu leur « âme » ou leur « vertu », bien au contraire. Aujourd’hui, ces religions sont devenues des vecteurs de laïcité… pour les réticentes ou les inquiètes ! En sécularisant des principes spirituels et en les sortant du jeu de pouvoir temporel, sans les empêcher d’exercer une œuvre sociale proche des valeurs d’humanisme, la laïcité a donné aux religions un espace de liberté, de concorde entre elles, qui n’entre pas en contradiction avec leurs aspirations légitimes. L’espérance républicaine laïque et humaniste ne peut être déjugée par l’espérance des Eglises qui prêchent la tolérance et ont renoncé au pouvoir temporel ! Mais toutes les religions et leurs courants n’ont pas atteint cette maturité… 

Il est urgent de connaître de façon exhaustive la liste des rites et pratiques qui entrent en conflit avec les principes de la laïcité 

Pour d’autres courants religieux, qui ne peuvent accepter pour des raisons de doctrine ni la rupture qu’elle impose avec l’action politique ni les contraintes pratiques qu’elle exerce sur les croyants, la laïcité reste inacceptable, même si d’autres religions la supportent. Que faire ?  Il importe me semble-t-il de comprendre d’abord ce qui oppose, car l’intransigeance sur les principes et la détermination sur l’objectif à atteindre n’empêchent pas, bien au contraire, d’aborder les points de difficultés avec pragmatisme.  

Cela implique :  

          de dresser la liste exhaustive des sujets réels d’achoppement : un état des points de crise, courant après courant, religion après religion, pratique après pratique… ;

          d’évaluer si ces points sont fondamentaux pour la pratique religieuse, du point de vue de la doctrine ;

          d’évaluer si ces points de tension s’opposent réellement aux principes de la laïcité.   

Dans un deuxième temps, il faudra assumer politiquement et financièrement : 

          l’interdiction des pratiques contraire à la laïcité ;

          l’accompagnement (information, enseignement, financement…) des évolutions indispensables aux religions acceptant d’évoluer pour respecter les principes laïcs. 

Ces quelques points abordés rapidement, on peut s’interroger enfin sur le caractère universel de la laïcité, à une époque et dans un monde où le pouvoir politique se confond aussi souvent avec le pouvoir religieux, et où le religieux s’affirme aussi fréquemment comme un facteur justificateur des conflits, parfois même déclencheur. Les analyses ne manquent pas pour souligner l’exemplarité du modèle français, mais aussi  son caractère exceptionnel…  

La laïcité hors de France, la possibilité d’un mythe ?

Se pose alors la question de sa promotion aux autres. Qui comprend la laïcité, à l’extérieur de nos frontières ? Bien peu de responsables étrangers, nous disent les témoins. Faut-il pour autant considérer que ce modèle n’est pas « exportable », et qu’il ne peut concerner que nous mêmes ? Certainement pas !   

Le monde subit la double attraction de la globalité et de la division :  

– le global nous relie les uns aux autres, quelle que soit notre origine, notre situation et notre histoire, dans un « tout planétaire » un peu flou et inquiétant. Nous sommes d’un même monde – les frontières n’arrêtent pas les nuages… Et dans ce monde clos, que nous percevons chaque jour un peu plus dangereux, nous nous sentons tous enfermés. Solidaires, victimes ou responsables. De moins en moins d’indifférence et de plus en plus d’anxiété… 

– la division se nourrit de cette globalité : dans ce « tout » qui emplit jusqu’à l’effacement de soi, qui inscrit comme une valeur la relativité des choses et des êtres, nous sommes tentés de nous crisper sur ce qui nous différencie et nous divise, pour exister encore. Pour rétablir des repères fixes. Pour refuser l’acte subi. Et réinventer de nouvelles frontières, derrière lesquelles un espace ouvert existera encore… Ces divisions nous entraînent aux conflits de défense ou de conquête, aux conflits de pouvoir sur le monde et les autres… 

C’est justement parce que le monde est confronté à cette double attraction de la globalité et de la division que la laïcité, comme la performance durable, apparaît comme une valeur universelle d’une intense actualité ! La globalité doit être rattachée à un sens collectif pour ne pas être anxiogène. Ce sens collectif doit être compatible avec les facteurs de division pour les surmonter. Deux caractères propres à la laïcité, qui porte la valeur de tolérance universelle et s’affirme, par essence, « religio-compatible » ! Ainsi, c’est parce qu’autant de conflits s’affirment comme religieux, qu’autant de sociétés, de pays, de continents, se divisent sur des prétextes ou pour des motifs religieux, jusqu’à faire exploser le monde… que la laïcité s’affirme comme un élément clé de l’avenir du monde, d’une globalité plus responsable, plus maîtrisée, respectueuse des croyances et des différences. Comme un facteur de réunion, par-delà les différences et les croyances.

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