Sectes : l’opportunisme, vecteur de totalitarisme !

Le  débat sur les sectes, relancé par les déclarations pour le moins maladroites d’une conseillère du président de la République il y a quelques semaines, révèle une nouvelle fois la difficulté d’appréhender le phénomène sectaire. En réalité, contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette difficulté ne résulte pas du caractère impénétrable, abscons, incompréhensible du phénomène, mais au contraire du fait qu’il incarne la forme totalitaire d’un opportunisme à l’œuvre au cœur de nos sociétés modernes…

 

Qu’est-ce qu’une secte ? Un mouvement spirituel ? Beaucoup semblent plus s’occuper de santé, de « bien être » psychologique, de formation ou d’informatique que d’une doctrine spirituelle… Et une religion n’est pas forcément sectaire. Un groupe fermé ? Beaucoup sont connues pour leur prosélytisme et leur propension à créer des événements promotionnels… Et des organisations non sectaires sont réputées à juste titre pour l’étroitesse de leur porte d’accès. La secte peut être renfermée sur elle-même, autarcique et parfois (mais pas toujours) suicidaire. Mais elle peut aussi être tournée vers l’extérieur, organisée pour l’échange et l’influence. Un mouvement sous l’emprise d’un gourou ? Certains chefs de groupe, entrepreneurs, politiques, syndicalistes, artistes, pourraient n’avoir rien à envier aux gourous en matière d’emprise… L’escroquerie et les abus en tous genres ? Les sectes n’ont bien sûr pas le monopole des délits… Les critères pourraient ainsi se multiplier, sans que l’un d’entre eux ne permettent de les délimiter…

 

On comprend dès lors le souci de la justice de poursuivre une secte sur la base de délits constatés, et la difficulté de procéder à une analyse systématique qui permettrait de la distinguer, de la repérer et de la combattre « en tant que telle »… Même une approche plus politique nous renvoie en écho d’autres exemples historiques : une secte, c’est une forme totalitaire d’organisation de pouvoir qui empêche l’existence d’une opposition, individuelle ou collective… Comme le nazisme, le stalinisme ou toutes les dictatures, qu’elles soient fondées au nom d’un dirigeant ou d’un peuple ! Psychologiquement, l’une des caractéristiques de la secte est de pousser l’adepte à abandonner, conscient ou inconscient, tout ou partie de son esprit critique, en faveur d’un chef, d’une organisation ou d’une doctrine. Cette réduction du champ de vision ne coupe pas obligatoirement l’adepte de toutes ses facultés. Elle lui change le regard qu’il porte à son environnement, le bouleverse, sans le métamorphoser systématiquement en zombie. Suffisamment pour que ses proches le remarque et s’alarme. Insuffisamment pour que lui-même se sente sous la menace de la manipulation à peine entamée … et déjà achevée ! Mais ne trouve-t-on pas pareil effet dans toute conversion ou choc de vie ?

 

On le perçoit bien, au-delà de ces raccourcis qui ont pour objet d’illustrer la difficulté de l’exercice visant à déterminer une secte : la secte accumule et concentre des déviances que l’on trouve ailleurs dans notre société. Des abus qui, au contraire de l’exclure de notre société, nous en renvoie une vision monstrueuse, comme un miroir déformant. Mais l’image renvoyée, même caricaturale, c’est la nôtre ! Et ce germe que la secte nous renvoie de nous-même, c’est celui d’un opportunisme totalitaire latent…

 

Car la spécificité de ce nouveau sectarisme, est qu’il a trouvé avec l’opportunisme un vecteur de puissance, et avec la mondialisation un terrain à sa mesure ! Nous sommes très loin du schéma, spectaculaire, inquiétant et dangereux pour les adeptes, mais inoffensif pour la société, des sectes des années soixante, se réfugiant par petits groupes d’égarés hors du monde, figées dans une idéologie chloroformée. Nous sommes en face d’une pandémie évolutive en permanence, qui  profite de la perte des repères de nos sociétés et d’un opportunisme mené au bout de sa logique pour infecter le corps sociétal… à mesure que l’opportunisme lui-même devient l’un des moteurs de l’existence ! Une secte est une organisation totalitaire à géométrie variable dès lors qu’elle a l’ambition de se développer : elle existe par la religion, puis par la médecine, puis par l’action sociale… Elle change de « marque », ou en crée au sein de filiales, en fonction des opportunités de développement et du marché à conquérir.

 

Les sectes sont de plus en plus difficiles à délimiter car elles poussent à l’extrême des pratiques que l’on peut trouver à la marge dans d’autres organisations qui n’ont pas de nature sectaire, mais peuvent parfois partager avec elles certaines pratiques opportunistes contestables, pour un marché de plus, un bénéfice supplémentaire, un succès important, un pouvoir plus effectif… Les outils sont les mêmes s’ils sont utilisés pour d’autres buts : le marketing pour identifier (orienter) le besoins des cibles, puis les satisfaire ; l’encadrement des personnels, des adhérents (la manipulation des adeptes) pour démultiplier les effets de campagne et tenir les « troupes » ; la multiplication des campagnes de communication pour se construire une image positive… et détourner l’attention des buts prioritaires, moins avouables ou honorables ! L’opportunisme, s’il n’est pas limité par une conscience et une éthique, a vocation a devenir totalitaire. Il n’a, par nature, aucune limite, dès lors que nous ne lui en donnons pas…

 

Cet opportunisme caricatural des groupes sectaires a pour miroir l’opportunisme policé de nos sociétés. C’est celui qui nous dicte la mise en sourdine les droits de l’homme pour un marché économique, ou se drape des droits de l’homme pour servir d’autres buts, se dope pour une médaille olympique, ou envahit un pays pour de fausses raisons. C’est celui qui fragilise la cohésion sociale pour privilégier la compétitivité immédiate des entreprises, qui ne peut s’empêcher de jouer quelques milliards sur les marchés spéculatifs (comment résister au profit facile ?) pour optimiser une rentabilité mais limite dans le même temps l’accès au crédit à ceux qui en ont le plus besoin, qui conserve inoccupé des logements ou favorise implicitement la spéculation immobilière quand tant de familles sont déjà en bas de l’immeuble, face à la rue…

 

On le comprend bien, cet opportunisme à vocation totalitaire nous touche aussi individuellement, et peut tous nous tenter, quand il s’agit de mettre sa conscience et son éthique de côté le temps d’une promotion de carrière, d’un petit avantage indu, de l’élimination d’un concurrent… L’esprit critique se limite aussi à l’intérieur, avec la bonne conscience dans la poche. Nul besoin d’être victime de manipulation… d’un autre que nous-même !

 

Voilà pourquoi, aujourd’hui plus encore qu’hier, il est décisif de se battre pour des valeurs. De refuser le « tout préparé d’avance », les « chasses gardées », les combines à la petite semaine qui empoisonnent la vie. Voilà pourquoi, bien au contraire d’être un « non problème », les sectes nous alertent tous sur des pratiques qui pourraient, demain, insidieusement, devenir les vecteurs d’un nouveau totalitarisme ! Et dont nous pourrions, nous aussi, être les vecteurs. Voilà pourquoi tout ce qui s’oppose à l’esprit critique de l’individu doit être combattu. C’est le premier devoir du politique.

 

Patrick HERTER – 15/04/2008

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