Si l’annulation du mariage de Lille pour « non virginité » choque tant l’opinion, c’est qu’elle révèle l’affaiblissement dangereux de nos principes républicains, au moment même où la pression des fondamentalismes religieux se renforce. Le caractère exemplaire de cette affaire oblige le politique à intervenir de toute urgence…
Ainsi, un mariage a été annulé en France, en 2008, pour mensonge sur la non virginité… Stupéfiante régression, basée sur l’article 180 du Code civil, qui stipule qu’un conjoint peut demander l’annulation de son mariage s’il y a eu « erreur sur la personne, ou sur les qualités essentielles de la personne ». Dans le cas présent, étaient concernées les « qualités essentielles » de la mariée : le juge a donc considéré que la virginité était une qualité essentielle de la femme… Et que le mensonge sur sa virginité devait entraîner l’annulation.
On reste saisi devant le rendu du jugement et sur ses conséquences. Des observateurs avertis ont beau évoquer la protection des contractants pour justifier la décision, réaffirmer que le droit existe justement pour permettre au contractant floué d’annuler le contrat, indiquer la volonté des deux conjoints d’annuler le mariage, ou encore le flou des « qualités essentielles » qui laisse une part à la subjectivité… Cela ne passe pas !
L’écoeurement sur le motif et les principes qu’il sous-tend
Plusieurs niveaux de réflexion face à cet écoeurement :
Sur le motif de cette annulation : peut-on considérer que la non virginité d’une femme peut provoquer l’annulation du mariage sans imposer la même qualité à l’homme, sauf à considérer que les droits de la personne humaine diffère selon le sexe ? Or la vérification chez l’homme est impossible. Le caractère de l’annulation de Lille est donc fondamentalement discriminatoire ! Notre justice peut-elle être à l’origine d’un tel camouflet aux principes fondateurs de notre République ?
Sur le principe de l’annulation : si l’on met de côté l’erreur sur la personne, dans le cas d’une usurpation d’identité, la référence aux mensonges sur les « qualités essentielles » nous renvoie l’image d’un homme (ou d’une femme) mentant pour conquérir, pour se retrouver tel qu’en lui-même (telle qu’en elle-même) après le mariage. Cela laisse d’abord libre cours à toutes les imaginations, à toutes les subjectivités, et en incidence à toutes les déviances.
Mais cela pose aussi plusieurs problèmes de fond :
– l’annulation est d’autant plus légitime que le mensonge s’oppose à une référence dogmatique, religieuse ou politique considérée par le plaignant comme supérieure au lien du mariage civil. Le mariage civil est alors soumis à d’autres règles que celles de la République, lesquelles sont susceptibles de l’annuler dès lors que l’individu s’en réclame. La porte est ouverte au communautarisme dans notre République. A un individualisme organisé dans une société éclatée, sous influences multiples… On ne peut pas l’accepter.
– si le mensonge entraîne l’annulation plutôt que le divorce, c’est que nous acceptons l’irresponsabilité des individus ou l’énormité du mensonge. Que nous acceptons l’effacement d’une « erreur », pourtant commise en toute connaissance de cause, ou la manipulation de l’un par l’autre, avec les incidences les plus graves. Le conjoint qui demande l’annulation en découvrant que l’autre lui a menti pourrait demander un divorce. En demandant une annulation, il considère que la collectivité (la justice au nom du peuple) doit valider une méprise particulière. Sommes-nous, dans l’affaire, devant cette énormité : certainement pas ! Les deux adultes étaient-ils irresponsables : pas plus, semble-t-il !
Un double scandale et une triple peine…
En réalité, dans cette affaire, il y a un double scandale, et une triple peine : bien sûr, le motif de l’annulation est un scandale judiciaire… Mais il y a aussi un scandale social qui le précède et le rend possible et qu’il faut aussi dénoncer : en France, à notre époque, dans notre société, une femme a été amenée à mentir sur elle-même, sous la pression d’un fondamentaliste rétrograde et de pratiques insoutenables qui ont bien peu à voir avec l’amour… jusqu’à la catastrophe finale. Cette femme n’a pas osé s’affirmer en tant que telle, et assumer sa vie, sinon le mariage n’aurait pas eu lieu. Elle n’a pas pu être « elle-même » et a dû mentir. Que craignait-elle ? Qu’espérait-elle : le pardon ou la catastrophe ?
L’annulation apparaît dans ce cadre comme une victoire des fondamentalistes sur son « mensonge », alors qu’il aurait fallu condamner ce fondamentalisme pour atteinte à la dignité humaine ! Cette pauvre femme a dû « passer » par l’épreuve de cette triple humiliation, de cette triple peine, pour s’échapper de ce mariage :
– s’humilier elle-même en renonçant à être elle-même, en se considérant « en faute » jusqu’à ne pouvoir sortir du mensonge,
– s’humilier au regard de son mari, dans l’intimité du couple,
– s’humilier au regard de la collectivité, par l’annulation du mariage consacrant « sa faute » !
Comment peut-on accepter cela ? Notre société a le devoir absolu de défendre les humiliés, d’éduquer les citoyens, par-delà leurs religions, et de combattre les pratiques ou doctrines qui pourraient dénaturer la personne humaine : sûrement pas d’en être complice, par Justice interposée…
Patrick HERTER – 09/06/2008