Crise : les banques sous pression…

Les banques sont aujourd’hui considérées comme les principales responsables de la crise. Pas un jour sans qu’elles soient accusées, d’abord d’avoir fabriqué et diffusé les produits complexes à l’origine de la crise des « subprimes », ensuite de propager la crise financière à la sphère de l’économie réelle en revenant sur les autorisations de découvert de leurs clients et en limitant le recours au crédit. En première ligne de ces critiques véhémentes… le gouvernement, qui met en garde, menace et place les établissements bancaires sous surveillance, en contrepartie des aides de l’Etat. La situation peut sembler étonnante, surréaliste même, tant le pouvoir politique et administratif et le pouvoir bancaire et financier ont semblé confondu ces dernières années, les hauts fonctionnaires passant de l’un à l’autre…

  

Le changement de ton entre les deux partenaires historique est la première conséquence d’une crise qui révèle, par incidence, l’incroyable emprise des banques sur notre société. Il illustre aussi spectaculairement la tentative du politique de rétablir sa primauté sur l’économique – l’une des ambitions du quinquennat de Nicolas SARKOZY. Dans le contexte actuel, ce dernier bénéficiera du soutien populaire. Mais attention aux espoirs déçus… car la colère du peuple peut rapidement devenir incontrôlable !

Le syndrome de Fouquet 

Les banques, au moment de l’éclatement de la crise des « subprimes » sont les véritables propriétaires du pays, comme l’a fait remarquer à juste titre dans une récente émission de télévision (Pièces à conviction – 17/12/2008) un dirigeant de PME prospère aujourd’hui affaiblie par la remise en cause de son autorisation de découvert par sa banque : « On a tous des crédits sur le dos… Tout appartient aux banques… C’est ça qui fait leur force ! ». Ce qui est vrai pour les entreprises l’est aussi pour les particuliers, propriétaires de biens immobiliers pour lesquels ils sont engagés sur de nombreuses années ou consommateurs suréquipés en « crédit revolving ». Et que dire de l’Etat, surendetté un peu plus chaque année par simple récurrence des charges de sa dette… Rien ne peut se faire sans les banques et la planète financière, qui font ou défont la politique économique, selon qu’elles soutiennent ou non les créations d’entreprises, accompagnent ou non les TPE-PME dans leur développement, aident ou non à financer les investissements industriels et ceux des collectivités territoriales… Dans la période faste qui a précédé la crise, les banques, toutes puissantes, ont accumulé des dizaines de milliards de profit quand autour d’eux les acteurs économiques les plus petits mais non moins indispensables (TPE-PME) et l’Etat, durablement affaibli, s’endettaient : celui qui détient la trésorerie tient le pouvoir réel… L’économie de l’endettement a été du pain béni pour les banques : pas étonnant qu’elles aient imaginé les montages les plus sophistiqués pour attirer de nouveaux clients, s’ouvrir de nouveaux marchés, et favoriser le développement du crédit. Jusqu’à en oublier les limites et les risques… Elles se sont vues régulatrices de fait de notre économie, et se sont arrachées les réseaux immobiliers pour contrôler toute la chaîne. Elles se sont vues maîtresses du jeu et du monde…   

La crise de l’été 2007 n’a pas remis en cause immédiatement cet état de fait – cet Etat dans l’Etat. Mais elle a fait prendre conscience à tous de l’énormité de l’emprise des banques sur notre société : aux premières lueurs de l’automne 2007, lorsque tout le monde s’inquiétait et s’interrogeait, les banques cachaient leurs pertes, les minimisaient. Le G7 a eu beau exiger d’elles qu’elles dévoilent « dans les cent jours » l’étendue de leur exposition, rien n’y a fait : les banques ont fait la sourde oreille, et livré des bribes d’informations quand on leur demandait de la transparence. Elles ont lancé un vaste plan média maniant l’opacité et la langue de bois, le cynisme et l’écran de fumée. Un certain mépris du politique et de l’opinion…

Mal leur en a peut-être pris. C’est le syndrome de Fouquet, ce surintendant aux finances de Louis XIV couvert de puissance quand le royaume était en faillite, qui provoqua sa chute en humiliant le roi… Le deuxième acte en place en 2008, va placer les banques entre le peuple et le roi, entre le marteau et l’enclume ! 

Les banques, le marteau et l’enclume 

Le président de la République, Nicolas SARKOZY, comprend que la crise peut provoquer un effondrement économique et un embrasement social en cas de défaillance (ou de blocage) bancaire. Il comprend aussi que la crise offre une opportunité historique de rétablir la primauté du politique sur le financier, du roi élu sur le roi banquier… Et il le fait savoir, communication gouvernementale contre communication de banques ! Car le temps presse : la colère gronde dans l’opinion, laquelle découvre peu à peu, que les banquiers si scrupuleux lorsqu’il s’agit de prêter l’argent de leurs clients, au point de demander toutes les cautions possibles, ont perdu des fortunes en légèreté sur les marchés spéculatifs ! La colère prend de l’ampleur quand certains petits patrons reçoivent une lettre de leur banque annonçant la fin de leur autorisation de découvert et le brutal arrêt de l’accompagnement bancaire au plan d’investissement programmé. La colère se propage quand les épargnants qui ont confié leurs capitaux à leur banque s’aperçoivent que ceux-ci ont fondu parfois de moitié, sans qu’un conseiller ne les ait jamais contactés, ou bien quand la banque exige le remboursement d’un prêt relais alors que l’immobilier, vendu par une filiale de la banque, devient invendable sans braderie… 

L’assemblage du marteau (le pouvoir gouvernemental) et de l’enclume (l’opinion) prend forme. Le politique se sent légitimé : il instrumentalise l’opinion pour contraindre les banques à changer. Le gouvernement lance un plan de soutien aux banques, contre un contrat moral : celui de soutenir l’économie. Double revanche : mise à disposition de la signature de l’Etat et ouverture d’une ligne de crédit de recapitalisation. Qui l’aurait imaginé il y a un an tout juste ? Mais ce serait sous-estimer les banques que de penser qu’elles vont répondre aussi docilement aux injonctions. Au mépris du contrat moral passé avec le président de la République, enfermées dans leur bulle, elles durcissent les conditions de crédit pour augmenter leur marge bénéficiaire (Les Echos du 10/11/2008) et négligent d’impacter la baisse des taux de la Banque Centrale Européenne, considérable. Elles favorisent un effet d’éviction du crédit en augmentant leurs crédits aux grandes entreprises tout en réduisant leurs crédits aux PME-TPE, subtilité qui leur permet d’indiquer par une campagne de presse massive que le taux de croissance de leurs crédits est stable en volume, quand des milliers de PME-TPE sont menacées de faillite immédiate, les carnets de commandes pleins ! Les banques évitent aussi, autant que possible, d’ouvrir des dossiers d’analyse de crédits aux entreprises pour empêcher leur transmission au médiateur du crédit en cas de refus : ce dernier, nommé par le président de la République, les surveillent et les dénoncent, car 80% des dossiers qu’il reçoit auraient dû passer ! Mais combien de dossiers n’arrivent pas jusqu’au médiateur ? Combien d’entrepreneurs renoncent ?  

Dans cette épreuve de force au plus haut niveau, les banques font de la résistance, pariant sur l’essoufflement du politique et la tétanie d’une opinion frappée par la crise. C’est un pari à très grand risque…

Banquier, fier de l’être, et sur la corde raide… 

Aujourd’hui, les banques n’ont toujours pas compris pas le changement de nature de leur relation au pouvoir et à l’opinion. La récente déclaration du président de la Compagnie financière Edmond de Rothschild, se déclarant « banquier et fier de l’être » et confiant au journaliste, dans le même article (JDD du 21/12/2008), qu’il a vendu son portefeuille boursier à l’automne 2006, est incroyable d’orgueil… Comment un dirigeant d’une société de gestion peut-il faire une telle déclaration aujourd’hui, quand tant d’investisseurs (et certainement dans son établissement) n’ont pas été invités à vendre leurs positions et qu’ils ont dû subir tout ou partie de la baisse des marchés ? Y aurait-il ainsi un marché pour ceux qui savent et peuvent arbitrer, et un marché pour ceux qui restent exposés dans les fonds, quoiqu’il arrive ? Ou, pire encore, faut-il comprendre que les intérêts d’une société de gestion (ne pas ajouter à la volatilité des cours celle des clients) seraient supérieurs à ceux de ses clients (ne pas perdre trop d’actif dans les mouvements de baisse) ? On préfère penser que le dirigeant satisfait n’était pas suivi dans son analyse par ses équipes techniques et commerciales… Car sinon, cela confine à la faute professionnelle collective !

Bien entendu, le dirigeant d’une banque n’est pas la banque à lui tout seul, et tous les banquiers ne sont pas aujourd’hui « fiers de l’être » ! Certains peuvent même en avoir honte aujourd’hui. Bien sûr, pas en haut de l’échelle… Plutôt parmi ces hommes et femmes en agences qui s’efforcent de s’occuper, sur le terrain, de leurs clients et qui sont aujourd’hui démunis pour agir, par absence de délégation. Ces conseillers bancaires, trop souvent limités dans leur pouvoir par une organisation industrielle centralisée, impersonnelle, qu’ils incarnent malgré eux, risquent d’être parmi les premières victimes de la crise. Ils sont en première ligne sur le front du mécontentement, et n’ont pas la capacité d’agir. Les laissera-t-on supporter seuls la possible vindicte populaire ou le poids des drames personnels des clients qui auront tout perdu à cause de la banque ? Il y aura une très grande responsabilité des dirigeants bancaires dans le malaise prochain qui risque d’atteindre les réseaux, s’il ne l’a pas déjà atteint. On a oublié la banque de proximité au bénéfice d’un réseau local de distribution pour clientèle captive… Aujourd’hui, le personnel d’agence est tout seul, sans plus rien à distribuer, ayant perdu une grande partie de sa légitimité de conseil, à devoir rendre des comptes! Car l’opinion va lui en demander… En se voyant toutes puissantes mais sans vouloir assumer le devoir que la puissance impose, les banques ont commis l’irréparable : se mettre à dos en même temps le peuple et le roi politique ! Les banques captaient la très grande partie de l’épargne pour trois raisons : elles étaient solides financièrement ; elles faisaient crédit ; elles parvenaient à suivre vaille que vaille la hausse des marchés boursiers. Aujourd’hui, elles sont fragilisées financièrement ; elles ne font plus crédit ; elles ont laissé leurs clients perdre une grande partie de leur épargne. Les banques sont en grande difficulté, sur la corde raide, et pourraient, dans les prochains mois, être confrontées à de très forts mécontentements collectifs, relayés par le pouvoir politique, national ou local. A l’apparition de nouvelles formes d’actions : la volatilité des comptes et de l’épargne. A la concurrence de nouveaux acteurs : les particuliers et les entreprises eux-mêmes qui devraient pouvoir se prêter de l’argent les uns aux autres, et pourquoi pas de nouvelles banques locales, soutenues par les collectivités et les fonds d’investissement de proximité ? 

Les mois qui viennent seront décisifs : le pouvoir politique a tout intérêt à obtenir gain de cause ou à rechercher les alternatives. Les banques ont tout intérêt à changer. Elles le peuvent encore. Le pays a besoin de banques responsables et solidaires et pas de machines à dividendes. De banques qui remplissent leur véritable mission : le financement de l’économie, et n’accumulent pas tous les métiers ! Elles ont peu de temps pour le faire…

Patrick HERTER – 26/12/2008

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