Un fléau mortel sans fumée ni odeur : la financiarisation de la planète…

La crise des subprimes et la très forte fluctuation du cours des matières premières et des actions ne sont pas seulement causes du déclenchement de l’une des plus importantes crises financières des cinquante dernières années, dont les effets n’ont pas encore donné leur pleine mesure. Elles sont les fruits d’un fléau mortel, dénoncé de manière prophétique par Jean Jacques SERVAN-SCHREIBER, ancien président du Parti radical,  il y a plus de trente ans: l’économisation de la planète. Ce fléau ne bouleverse pas seulement  notre environnement : il détruit les valeurs de notre humanité…

 « Les esprits se soumettent à la force des choses, et y cherchent des excuses à leur démission. La force des choses, aujourd’hui et pour nous, c’est la loi économique. Elle déblaie, et déjà colonise l’avenir. Maîtresse du jeu, assurée d’une sorte de monopole sur les aspects essentiels de nos revenus, de notre environnement, de notre rôle même, elle risque fort de sacrifier nos plus précieuses valeurs à sa logique mécanique, immorale et de prendre, elle aussi ; un caractère totalitaire. » Ces lignes prophétiques ont été publiées… en 1970, dans sa préface du « Manifeste Radical », par Jean-Jacques SERVAN-SCHREIBER.

 

Aujourd’hui que le monde est confronté à la spéculation sur le cours des matières premières, à l’éclatement de la bulle du crédit immobilier, à la rupture des digues de solidarité interbancaires, à l’agitation impuissante de gouvernements, à la course sans fin, sans morale ni loi, de capitaux gigantesques investis d’un marché à l’autre au gré des opportunités, les lignes de JJSS sont saisissantes. Mais en l’état, l’hommage dû au Cassandre que l’on n’a pas voulu entendre ne suffit pas. Il nous faut réagir d’urgence !

 

 Les hommes, malades de l’argent 

 L’époque nous offre l’image saisissante d’une humanité dans un même élan triomphante et écrasée par les puissances d’argent. Le triomphe, c’est celui du capitalisme débridé, sans frontière, capable d’investir une économie du bout du monde un jour, d’arbitrer le lendemain des milliards sur le marché pétrolier, de faire flamber les matières premières puis de s’en dégager d’un clic… Ce capitalisme-là a fait la fortune d’audacieux financiers. Il a permis à des entrepreneurs de pays considéré autrefois « de deuxième zone économique » de racheter des secteurs entiers d’activité dans les pays dits « développés ». Il a, dans ses déséquilibres – par ses déséquilibres même ! – rééquilibré d’une certaine manière le jeu économique international, développant l’échange, propageant une croissance à deux chiffres dans des pays autrefois à la traîne et faisant reculer l’extrême pauvreté dans le monde…

 Dans le même mouvement, par ses réussites étonnantes et son champ d’intervention sans frontière, par le décloisonnement de ses marchés, ce capitalisme débridé a volatilisé le monde : il l’a rendu plus instable que jamais, et donné les instruments qu’il leur fallait aux spéculateurs. Il a fait croire en la réalisation d’un monde où tout serait possible à l’audacieux, au malin. Il a séduit les responsables d’entreprise les plus réticents au « bling bling » financier, qui n’ont pas pu résister trop longtemps aux opérations que tous les autres faisaient, sous peine de voir leur entreprise avalée par des concurrents moins frileux aux résultats financiers faramineux, ou dans le risque d’être renvoyés par des actionnaires impatients et versatiles. Les banques les plus prudentes, obsédées par le risque client, sont rentrées dans la danse aux milliards, risquant l’argent de leurs clients à qui elles refusaient crédits pour ne pas prendre de retard dans la course mondiale au toujours plus grands, toujours plus forts…  

 Dans cette folle farandole, l’éthique s’est encore affaiblie d’un clic… Et des milliards d’individus ont assisté en spectateurs impuissants, souvent rêveurs, à l’accomplissement des plus fulgurantes réussites, récupérant au passage des limousines, à la lecture des magazines, quelques miettes de succès…

 

 La crise financière : les victimes ne sont pas celles que l’on voit ! 

 La crise des subprimes, depuis l’été 2007, a révélé la fragilité de ce monde. Elle a révélé les opérations de dominos, la grande interdépendance des puissants – leur grande hypocrisie aussi ! Les marchés boursiers se sont retournés, puis affaissés : ils s’écroulent à présent. Mais les victimes ne sont pas ceux que l’on présente chaque jour un peu plus !

 Dans le monde, les milliards continuent de circuler. Les institutionnels les moins fautifs, les moins engagés, traverseront la crise en renforçant leurs positions de marché, leurs capacité à étendre leur puissance. Les plus fautifs, les plus exposés, disparaîtront ou perdront leur indépendance. Et quoi d’autres : les plus riches arbitreront ou attendront. Mais pour les épargnants ? Pour les ménages les plus modestes ?  Le capitalisme débridé a eu la subtilité de créer une chaîne de responsabilité et de risque inversée : aux institutionnels les capacités financières massives, le temps indéfini, les soutiens publics et les outils pour agir vite ; aux épargnants les capacités financières limitées, le temps compté, le manque de moyens budgétaires des Etats pour aider, et l’absence d’outil pour agir vite et protéger ses actifs. La raison du plus fort, si elle a favorisé la volatilité du monde et la création d’une richesse rapide et imposante, s’est protégée du risque en le reportant sur les plus faibles !

 

 Quels sont ces risques : bien sûr l’emploi, menacé par des sorties de capitaux, des suppressions de postes, des délocalisations… Mais aussi le revenu : les 35 heures ont provoqué la stagnation du pouvoir d’achat en période de croissance économique, la dépression économique empêchera toute hausse prochaine…. Mais aussi l’épargne : combien d’épargnants ont été protégés par leurs banques des risques de marché ? Fort peu, puisqu’il s’agissait pour les sociétés de gestion des réseaux bancaires d’empêcher qu’à la volatilité des marchés s’ajoute la sortie des encours des fonds proposés à la clientèle. Les institutionnels ont arbitré, les épargnants sont restés… 

 

 La crise boursière que nous rencontrons, c’est le Titanic : aux 1ères classes les chaloupes ; à tous les autres l’orchestre… Les épargnants qui comptent sur leur épargne, pour leur retraite ou pour devenir propriétaires, dans dix ans ou demain, subissent directement la brutalité des marchés quand ils devraient être les premiers à en être protégés. C’est le véritable scandale de la crise. Il est d’autant plus insupportable que l’on demandera bientôt aux mêmes particuliers de soutenir les « pauvres pertes » des établissements bancaires, par la fiscalité ou la planche à billets. Il faut en tirer toutes les leçons…

 

 Pour une nouvelle gouvernance économique 

 Il n’y a pas d’autre possibilité que l’intervention politique, car comment demander à un système opportuniste de se brider lui-même ? Comment accepter aujourd’hui sans réagir que les banques qui bénéficient de fonds de soutiens considérables se préoccupent, non pas de soutenir l’économie en général, de protéger leurs clients les plus fragiles, d’accompagner les PME dans un environnement plus délicat, mais seulement de rétablir leurs fonds propres, de maintenir investis les encours en bourse de clientèles captives et de durcir les conditions de crédit ? Comment accepter que le politique assiste, sans réagir, à ce naufrage, et accepte d’en faire payer l’addition à des ménages qui ne sont responsables de rien et n’en n’ont jamais tiré le moindre profit !? Sommes-nous, autant qu’on semble l’affirmer, obligés de sauver les banques sans discuter, sous peine de voir disparaître le financement de l’économie, alors qu’elles sont aussi avares de leurs crédits aux PME – aux véritables créateurs de la croissance économique !?

 Il nous faut dénoncer les conditions de fonctionnement du système bancaire et financier. Il nous faut dénoncer le système qui veut que les erreurs des banques soient payées par les investisseurs en bourse qui leur a fait confiance, par les contribuables déjà matraqués fiscalement qui ne sont même pas forcément client de la banque fautive, par les entreprises à qui l’on ferme l’accès au crédit et qui servent de justification au soutien public…

 

 Il nous faut renforcer le contrôle des risques des établissements financiers, et orienter les capitaux vers l’économie réelle, non dans les bulles spéculatives, qui finissent tôt ou tard par éclater. Il nous faut imposer la transparence des comptes et des opérations, pour permettre aux acteurs d’évaluer leurs engagements, mais aussi faire payer aux acteurs financiers leurs spéculations en prime de risque due à la collectivité, dès lors que la collectivité a assumé financièrement leurs errements passés. Il faut obliger les banques à financer l’économie, ou créer un organisme qui le fera à leur place ! Il nous faut responsabiliser les acteurs financiers, en refusant les sauvetages systématiques qui permettent aux acteurs financiers de jouer sous le confort de la formule implicite : « pile je gagne, face tu payes » !

 

Non. Ce jeu de dupe a assez duré !

 

Patrick HERTER – 22/09/2008

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